Texte 3
La nuit est magnifique, ce soir. Les étoiles sont nombreuses et étincelantes, il fait bon, criquets et cigales stridulent avec joie. Si tu étais là, tu me désignerais à voix basse les Ourses, Cassiopée, le Dragon, la Lyre. Ta voix s’enflammerais quand tu me raconterais telle ou telle légende, tes mains s’agiteraient dans le noir pour illustrer tes propos, ton visage seraient illuminé d’un sourire détendu. Tu n’es pas là, tu n’es plus là, mais je le sais. J’ai admiré ce spectacle assez de fois pour pouvoir le décrire dans ses moindres détails.
Tu as toujours adoré les cieux étoilés. Ça te fascinais et te laissais rêveur. Moi, je préfère le jour, le soleil, le chaud. Mais tu m’as appris à aimer la nuit. Tu m’as fais découvrir la clarté de la lune, la poésie d’une étoile filante, l’immensité d’un ciel nocturne. Grâce à toi, j’ai compris que la nuit n’était pas que synonyme de ténèbres et de noirceur, mais aussi de beauté et d’enchantement.
Tu en étais un aussi, à ta manière, d’enchantement. Ou mieux, un enchanteur. De tes sourires et de tes mots, tu me faisais oublier les difficultés, les problèmes et ma tristesse. On se disputait beaucoup, pourtant. Nous avions tous les deux les mêmes gènes, le même caractère bien trempé, et après tout, n’était-ce pas le rôle d’un frère et d’une sœur de se disputer ? Notre relation était tellement fusionnelle, que quand notre osmose n’était pas parfaite, nous nous entre-déchirions avec hargne. Jamais nous n’en somme arrivés à la haine, cependant. Nous nous aimions trop pour cela. Mais parfois, oh, oui, la rage était telle que personne n’osait penser à une réconciliation !
Puis tu es parti.
Soudainement. Brutalement.
Sans que je n’ai le temps de te faire mes adieux.
Ce soir, je vais avouer à la lune une chose que je ne me suis jamais résolue à dire, ni même à penser :
Tu es mort.
Tu es mort, et tu m’a laissée derrière toi, seule, perdue, éplorée. Je t’ai attendu j’ai longtemps nié ta mort, mais cela était vain. Tu es mort, tu ne reviendrais pas. Tu ne reviendras pas. J’ai beau tendre mon visage vers le bout de ce champ en jachère, tu n’apparaîtras pas, nonchalant, un sourire en coin sur le visage, et tu ne me prendras pas dans tes bras pour t’excuser de la peine que tu m’as infligée. Tu ne me murmureras pas que tu es revenu, et que tu ne partiras plus jamais. Non, cela n’arrivera pas.
Cependant, assise ici, sur ce muret en pierre, une chaleur familière m’enlace comme un bras aimé. Cette chaleur, c’est la tienne, ce bras, c’est le tien. Si je me concentre, je peux entendre ton rire dans les bruissements du vent, et je suis sûre que c’est ta silhouette qui joue là-bas dans les herbes folles. Parce que je te connais, et que je sais que tu ne m’aurais pas abandonnée, que nous sommes inséparables. Alors je me lève et cours vers toi, cours avec toi, sans vraiment te toucher, mais je sais que tu es là, tout près, d’une manière que les autres n’arriveraient pas à appréhender.
Dans le silence et la chaleur de la nuit, nous sommes à nouveau réunis.